Démocratie et inégalités

Alexis de Tocqueville (1805-1859) est un sociologue français, auteur de De la démocratie en Amérique, publié en deux tomes (1835 et 1840).

Il croît observer à travers les enquêtes faites en Amérique un phénomène inéluctable : l’égalisation des conditions sociales, qui entraîne la naissance d’une “société démocratique”.

Les inégalités que connaît la France actuellement sont compatibles avec la démocratie tocquevillienne.

I – La démocratie selon Tocqueville

A – Démocratie ?

Le terme “démocratie” est habituellement entendu au sens politique : c’est un état politique caractérisé par l’égalité de droits. C’est le gouvernement du peuple, élu par le peuple pour le peuple : le gouvernement où le peuple exerce sa souveraineté.

B – La démocratie de Tocqueville

Pour Tocqueville, la démocratie est un Etat social et non une simple forme de gouvernement. La démocratie marque l’égalisation des conditions mais cela ne signifie pas l’égalisation des situations économiques et sociales : il y a des riches et des pauvres.

Les peuples démocratiques ont une passion pour l’égalité : ils se pensent et se sentent égaux et semblables.

Tocqueville distingue 3 formes d’égalité :

  • l’égalité devant la loi : pas de privilèges
  • l’égalité des chances : méritocratie
  • l’égalité de considération : tous les honneurs sont accessibles à tous

Ce sentiment d’égalité pénètre la société toute entière. Il transforme profondément les relations humaines.

Cette passion pour l’égalité amène le changement social. Le passage à la démocratie sera lent et inéluctable.

L’égalisation des conditions entraîne le rapprochement des niveaux de vie, donc une montée en puissance des classes moyennes. C’est une société qui connaît une grande fluidité sociale car les inégalités ne viennent pas de l’origine sociale.

C – Le meilleur exemple de démocratie selon Tocqueville

Tocqueville pense que les USA sont l’image de l’avenir promis aux autres pays car il n’y a pas d’aristocratie : ” les Américains sont nés égaux avant de le devenir”. En France, la transition entre l’Ancien Régime et la démocratie fut beaucoup plus lent et difficile.

D – Les dangers de la démocratie selon Tocqueville

L’individualisme

  • à ne pas confondre avec l’égoïsme
  • chaque citoyen se replie sur lui-même, sur sa famille, ses amis, sa propre sphère d’activité. Chacun s’intéresse à avoir une situation proche de celle de ses voisins. Personne ne s’intéresse à la vie politique
  • individualisme = abstentionnisme

Le despotisme

  • le pouvoir est concentré entre quelques mains
  • l’État s’occupe de tout
  • les individus deviennent dépendants de l’Etat
  • la tyrannie de la majorité : refus de vouloir se différencier des autres. La tyrannie peut être morale, intellectuelle ou d’opinion publique : personne ne souhaite différer des idées officielles.

Conclusion

En cherchant prioritairement l’égalité, les citoyens risquent de perdre leur liberté.

E – Pourquoi la démocratie n’a-t-elle pas tourné au despotisme aux USA ?

A cause de :

  • la pratique du fédéralisme : partage du pouvoirs entre les Etats
  • les associations : défense des intérêts et contre-pouvoirs
  • la liberté de la presse
  • les mœurs (valeurs, normes) : goût pour la liberté…

II – Les inégalités et les politiques de lutte contre les inégalités

A – Les inégalités existent

Les inégalité de revenus :

  • ≠ selon les PCS
  • professions indépendantes ≠ salariées
  • ≠ entre les salariés : SMIC
  • hommes ≠ femmes
  • entre les générations : jeunes ≠ retraités

Les inégalités de patrimoine :

  • actifs financiers : actions, obligations
  • actifs non-financiers : immobilier
  • 10% des ménages français détiennent 50% des patrimoines
  • le patrimoine des professions libérales, artisans et commerçants est 6 fois plus important que celui des ouvriers

Les inégalités face à la mort (espérance de vie) :

  • ≠ PCS
  • hommes ≠ femmes
  • conditions de travail
  • parallèle avec le corps (ouvrier ≠ cadres)
  • la culture comme produit biologique lié à l’argent

Les inégalités face à la culture et aux loisirs :

  • les PCS les plus favorisées ont accès aux services culturels
  • accès à la médiathèque, musées, théâtre
  • Pierre Bourdieu et la reproduction sociale

1 – Quel est le profil sociologique et politique des actifs en politique ?

  • hommes
  • jeunes retraités (62-75)
  • ceux qui ont un diplôme de l’enseignement supérieur
  • profession intellectuelle supérieure
  • revenus élevés
  • famille mariée
  • père de famille
  • participe à la vie associative ou à un syndicat
  • intérêt pour la politique

2 – Les deux types d’explication

L’intégration (A. Lancelot) : dans la société globale, les jeunes, vieillards, pauvres, minorités, non diplômés s’abstiennent et ne sont pas intégrés. Dans un groupe intermédiaire, il y a participation sociale : les syndiqués et membres religieux votent.

La domination (P. Bourdieu) : ce sont les classes dominantes qui participent le plus aux élections donc elles voient leur poids électoral augmenter.

3 – Le “cens caché” de Daniel Gaxie

Le cens est un impôt qu’il fallait payer au 18ème siècle afin de pouvoir être électeur. Les inégalités face aux élections fonctionnent aujourd’hui comme un cens caché et aboutissent au même résultat : les dominés sont écartés.

B – Les politiques de lutte contre les inégalités

  • politique de protection sociale (Etat-Providence)
  • politique de lutte contre l’exclusion
  • politique de lutte contre le chômage
  • politique de lutte contre les inégalités à l’école
  • politique des revenus : le SMIC (le SMIC est apparu en Angleterre le 1er avril 1999)
  • politique fiscale : IRPP progressif, droits de succession, ISF

Les politiques de réduction des inégalités visent non seulement les inégalités de situation mais aussi les inégalités de chance.

C – Des points de vue différents selon les inégalités

1 – La politique des libéraux

Pour les libéraux, l’économie de marché est le système le plus efficace, malgré les inégalités présentes aux USA et au Royaume Uni.

Dans un univers méritocratique, il faut rémunérer plus ceux qui produisent plus, qui s’investissent plus, qui prennent des risques : ceux qui font gagner de l’argent à l’entreprise.

Ces inégalités salariales permettent de ne pas gaspiller les compétences des salariés est sont donc facteur de productivité. Le salarié va faire des efforts et se montrer productif grâce à l’émulation.

Milton Friedman conclut à l’inefficacité de la redistribution (revenus de transferts). Tous ne doivent pas en profiter.

Pour Frederick von Hayek, les inégalités sont nécessaires pour assurer la dynamique de l’économie. Il faut récompenser les meilleurs, ce qui entraîne la présence d’inégalités. Les revenus de distribution découragent le travail.

La théorie de Laffer : “trop d’impôts tuent l’impôt“.

2 – La thèse de Rawls

John Rawls a écrit Théorie de la justice en 1971. Selon lui, les inégalités peuvent être acceptables tant qu’elles suscitent un surcroît de richesses et qu’elles améliorent le sort des plus démunis : “l’enrichissement des plus riches permet de maintenir le pouvoir d’achat des plus pauvres”.

Il distingue donc les inégalités positives (justes car tout le monde en profite) des inégalités négatives (injustes car elles réduisent les revenus des moins performants et excluent certaines catégories sociales).

“Si le marché doit aboutir à l’exclusion, la société devra payer un jour”. Rawls veut combiner justice sociale, liberté de l’individu et efficacité : l’Etat doit aider les plus démunis. Il rejette le libéralisme sauvage aussi bien que le socialisme autoritaire.

3 – La thèse de Bourdieu

Pierre Bourdieu raisonne en terme de reproduction sociale. Il insiste sur le caractère auto-entretenu et cumulatif des inégalités qui entraînent la reproduction sociale. Ces inégalités sont dûes aux 3 formes de capital :

  • capital économique : fond de commerce, argent…
  • capital social : relations
  • capital culturel : instruction

4 – Le point de vue de Touraine

Alain Touraine parle de sociétés égalitaires et dénonce les dangers de fracture sociale. Les sociétés postindustrielles ne sont plus verticales (hiérarchisées selon les classes sociales) mais horizontales (hiérarchisées in/out, intégrés/exclus).

5 – Le point de vue des keynésiens

Les keynésiens sont favorables à l’Etat-Providence et à la réduction des inégalités. La hausse des revenus de transferts et les aides aux plus démunis entraînent la relance par la demande et le renforcement de la cohésion sociale.

Pour conclure, on s’aperçoit qu’il est difficile de concilier la récompense de l’effort individuel et de l’initiative dans une société marchande et stimulant l’économie avec le désir d’égalité.

D – Les inégalités sont-elles compatibles avec la démocratie tocquevillienne ?

Compatibles

L’égalité de revenu est respectée si elle est acquise par le talent et non la reproduction sociale. Sont également compatibles l’égalité de patrimoine acquise par le travail est les inégalités positives.

Incompatibles

  • les inégalités face à l’école
  • les inégalités face à la mort
  • les inégalités face à la culture
  • les inégalités face à la justice
  • les inégalités cumulatives
  • les inégalités négatives

Conclusion

Si l’égalité devant la loi, l’égalité des chances et de considération sont respectées, les inégalités ne sont pas compatibles avec la démocratie.

Mais lorsque ces inégalités semblent se reproduire d’une génération à l’autre et devenir une source d’exclusion (exclusion de l’école, quartiers de délinquants) alors la démocratie tocquevillienne est en péril.

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3 pensées sur “Démocratie et inégalités”

  1. Je pense que l’égalité est inexistante partout dans le monde, même aux USA. En effet, il est impossible de considérer comme égaux des choses ou des situations ou encore des hommes qui ne le sont pas. Le niveau de vie par exemple, influence les chances. Peut-on dire qu’un homme à faible revenu a les mêmes chances qu’un autre ayant un revenu élevé. Finalement l’égalité existe de droit. Mais il y a toujours une inégalité de fait.

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  2. L’inégalité économique dans le monde est un faux problème soulevé par des envieux, des utopistes, des jaloux, des idéologues fonctionnarisés. La vraie question est: pourquoi l’inégalité devant la justice, l’inégalité en droit ? Poser la question de l’injustice de l’accaparement est plus pragmatique. Mais chut ! on sait bien que la cupidité, la volonté d’accaparement, la propension à la fraude morale et éthique est d’origine culturelle. Donc sujet tabou. Il est préférable de détourner le regard et de traiter la conséquence mais jamais la cause spirituelle.

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