Voyage au Centre de la Terre et Monde Perdu

  1. Le Voyage Imaginaire : l’exploration des mondes
  2. La structure narrative des 7 voyages de Sindbad le Marin
  3. Sindbad : la rhétorique de la vraisemblance
  4. Le Merveilleux, le Fantastique, et le Mythe dans Sindbad le Marin
  5. Jules Verne : Voyages au Cœur de l’Extraordinaire
  6. L’impact de l’illustration dans l’imaginaire vernien
  7. Géodésiques de la Terre et du Ciel
  8. Jules Verne et ses illustrateurs : une collaboration unique
  9. Jules Verne : les légendes sous les images
  10. Voyage au Centre de la Terre et Monde Perdu

Dans “Voyage au Centre de la Terre” de Jules Verne et “Le Monde Perdu” d’Arthur Conan Doyle, les personnages qui racontent l’histoire sont des aventuriers et des écrivains (capables de maîtriser le temps). Tous deux utilisent le journal et garantissent le vécu. En 1912, le journalisme avait une importance capitale et les gens s’identifiaient aux propos rapportés.

Personne ne retrouve l’accès aux mondes perdus. Les participants de l’expédition ont un objectif commun : vérifier les actions entreprises par leurs prédécesseurs (Sackmussen, Maplewhite). Ces mondes perdus existent puisqu’on peut les voir : c’est la rhétorique de la vraisemblance, et la garantie du vécu.

C’est par l’analyse de l’imaginaire que l’on comprend les personnages. Axel et Malone sont exhortés au voyage par des femmes (Graüben, Gladys) et la récompense par le mariage. Lidenbrock/Hans et Challenger/Roxton sont les maîtres spirituels. Les épreuves initiatiques montrent les différences morales et physiques : fatigue, honte, peur. Lidenbrock et Challenger sont les hommes des verticales. Hans et Roxton sont les sauveurs.

Axel et Malone sont sauvés par miracle et reprennent conscience après une chute soudaine. L’épreuve, la chute, la perte de connaissance et la reprise de conscience rappellent le schéma narratif de Sindbad le Marin. Ils se retrouvent à l’origine du monde avec la rencontre avec le berger antédiluvien et les deux ethnies : les hommes singes (le chaînon manquant) et les Indiens (qui n’ont aucun équivalent dans Voyage au Centre de la Terre).

Le champignon symbolise-t-il le village de l’homme singe ? Axel et Malone déchiffrent tous deux un cryptogramme : Axel au début, et Malone à la fin du roman. Malone renaît avec un statut d’initié mais il existe une différence à la fin avec Axel : Malone ne se marie pas et retourne au Monde Perdu.

Arthur Conan Doyle brouille les pistes et les informations mélangent fiction et réalité. Challenger annonce des “preuves”, qui sont en réalité : un carnet de croquis, une photo flou et un os. La photographie était une preuve en 1912 mais ce n’en est plus une aujourd’hui, à cause des trucages et montages médiatiques, ou encore de l’utilisation de l’intelligence artificielle. Le plus important, c’est d’encourager l’aventure.

Let them go. They will always find something.

Arthur Conan Doyle

La Quête de Malone

Il y a des points communs et des différences entre Axel et Malone mais aussi des invariants. La quête d’Axel est une quête du premier degré, un modèle de la quête initiatique. Dans la quête de Malone, Arthur Conan Doyle renforce ce qui était esquissé par Jules Verne 50 ans auparavant.

Caractérisation des personnages

Gladys et Malone

La quête est effacée chez Jules Verne : Gladys occupe tout le premier chapitre ainsi que le dernier. C’est un des rôles féminins les plus élaborés de Doyle, avec de l’ironie à la fin de l’histoire.

“Gladys” a une connotation érotique (glade, glide) alors que “Graüben” absolument pas. “Summerlee” est presque ridicule, et ne possède qu’un rôle purement décoratif. En comparaison, “Malone” jour un rôle de premier plan. Ses qualités se manifestent peu à peu. C’est un parfait néophyte en puissance, un rugbyman avec un donc inné de la communication. C’est le futur initié idéal, à qui il ne manque qu’un prétexte.

Gladys brosse le portrait du mari idéal, et la vision d’une femme cherchant à s’émanciper (la nouvelle femme du XXe siècle) : Malone est le chevalier bravant la mort pour elle. L’ironie finale est qu’elle se marie à un pauvre type bien médiocre. Gladys vit dans un monde idéalisé et dédaigne le monde réel. Elle a une conception ultra-romantique de l’amour, avec des accents médiévaux et moyenâgeux : c’est Lancelot quittant Camelot pour Guenièvre, allant du connu vers l’inconnu. Malone est donc le chevalier en quête du Graal.

Le Professeur Challenger

Le Professeur Challenger est un initié, un releveur de défi : “challenge” signifie “défi” en ancien français. Le “challengeur” était le champion défiant les autres chevaliers. Mais “Challenger” est également le nom d’un bateau océanographique et scientifique au début du XXè siècle. Challenger est donc le savant, le nouveau héros. Il est excentrique, gros et grotesque en comparaison du filiforme Lidenbrock. Challenger devient le roi des singes : c’est de l’humour, mais c’est tragique à la fois. Le grotesque est le tragique qui peut faire rire. Le maître du genre est Edgar Poe. Les singes rappellent la théorie de l’évolution de Charles Darwin.

Malone affronte Challenger dans son appartement. La ruse, qui consiste à se faire passer pour un étudiant scientifique, se retourne contre Malone. Challenger démasque Malone, qui est mystifié : la ruse est éventée et Challenger voit les potentialités de myste chez Malone.

Challenger décide de l’affronter en combat singulier. Malone tient tête à Challenger et reconnaît ses torts devant la police. Challenger voit là toute son honnêteté. C’est un jeu d’enfant de convaincre Malone, qui est enthousiasmé. La graine est semée dans son âme et Malone prend Challenger pour un dieu. Il y a une critique scientifique et universitaire lorsque Challenger fait face à la foule, et dans la force magique qui pousse Malone à se porter volontaire pour le monde perdu.

Roxton

Il y a une deuxième rencontre fondamentale : la rencontre entre Malone et Roxton. Roxton est grand chasseur colonial, c’est Hans à la sauce british. Roxton est inspiré par Roger Casement, un Irlandais qui se retrouve avec les Allemands pendant la guerre. Il sera pendu pour traîtrise. C’est le côté redresseur de torts d’Arthur Conan Doyle, comme l’avait fait Voltaire pour Calas. Roxton et Allan Quatermain oscillent entre civilisation et sauvagerie : ils ont le potentiel de férocité et le potentiel de civilisation, une dualité.

En 1912, sont publiés Le Monde Perdu et Tarzan : est-ce une coïncidence ? Les années 1910-1920 font la critique de la civilisation, en trois phases majeures :

  • L’homme de la civilisation confronté au sauvage
  • La destruction du monde sauvage
  • La revanche du monde sauvage

Roxton est le maître initiatique, il crée des épreuves fictives pour Malone. Il est également fier de ses origines celtiques. Roxton, Challenger et Malone forment un trio mythique. Malone et Roxton s’entendent à merveille. Roxton est le monolithe, le roc, le modèle héroïque par excellence. Challenger est comparé à un taureau assyrien.

Les phases de l’initiation

Les phases de l’initiation sont une succession d’épreuves physiques et morales : la forêt de bambous, la fatigue du voyage font partie de la souffrance initiatique. Il y a aussi l’insistance de l’auteur sur le changement de décor : le passage d’un pays à un autre, ainsi que les souffrances morales : la crainte, le doute. Challenger et Roxton considèrent Malone comme un enfant, un niais. Il y a une forme de condescendance rituelle.

L’entrée dans le monde perdu est impossible et rappelle les Symplégades (Jason et la Toison d’Or). Ils se heurtent à une fausse entrée mais ils n’ont pas le temps de réfléchir : ils évitent de justesse un rocher. L’entrée est gardée et protégée.

Le cauchemar est la traversée du marécage, entre liquide et solide, avec des serpents venimeux. Symboliquement, Malone plonge dans une eau mortelle. C’est l’eau de la résurrection, de la renaissance. Après cet épisode, Challenger trouve chez Malone “des éclairs de lucidité”.

Jusqu’ici, la progression était horizontale. Avec le plateau, elle devient verticale – c’est l’épreuve symbolique d’ascension. Malone a peur : “je n’aurais jamais réussi sans Challenger”. Le professeur s’avère être une aide providentielle. Sur le piton, Malone contemple ce qui va bientôt lui appartenir mais Challenger veille : “ne te retourne jamais” – ce sont des paroles d’initié.

Malone se voit confier une tâche : abattre l’arbre. Malone est lié à l’arbre : il doit l’abattre mais c’est celui sur lequel il monte pour contempler le plateau. Arthur Conan Doyle appelle le pont un pont-levis, dans une référence médiévale. Puis, le pont saute : l’infâme Gomez (métis) s’oppose au bon Zambo (noir) dans des stéréotypes raciaux. Le pont est la “passerelle vers l’inconnu”. La disparition du pont fait d’eux des prisonniers du monde sacré : au désespoir de Malone contraste le détachement surhumain de Challenger et Roxton.

Le Monde Perdu

Le Monde Perdu échappe à la morsure du temps. Il survit à l’entropie et à l’évolution mais tout semble provisoire, éphémère, instable. C’est l’ironie de la structure : le provisoire domine. Le Monde Perdu est parfois paradisiaque mais souvent infernal : il est plus proche de Sindbad que du Voyage au Centre de la Terre.

Le XIXè siècle marque le chaos des génocides indiens et africains. En 1912, il y a une phase critique de l’expansionnisme et des réflexions post-génocide, avec des scènes problématiques comme le sadisme et le voyeurisme. Challenger est montré comme un roi, c’est l’origine simiesque de l’homme. La tentative de s’échapper par les airs rappelle le mythe d’Icare, dans une parodie de schème d’élévation. C’est un retournement grotesque ce qu’il y a de plus noble.

En 1912, Sir Arthur Conan Doyle porte un regard pessimiste sur le monde dans lequel il vit et dénonce la violence gratuite, l’insensibilité des animaux aux armes modernes, le désir des héros de quitter la terre-mère pour la civilisation (la tentation de déserter). Les Indiens ne permettent pas qu’ils s’échappent : plus ils sont ethnologues et plus ils sont prisonniers.

Malone est le dépositaire du cryptogramme secret. L’Indien primitif reconnaît l’initié d’instinct. Malone, comme Axel dans Voyage au Centre de la Terre, résout l’énigme et force l’admiration de ses compagnons. La première révélation a lieu avec l’arbre, la seconde révélation se passe dans le tunnel : Malone devient le guide pour la seconde fois. La sortie – qui se passe sous le signe féminin de la lune – est une expulsion, une délivrance. La grotte est le lieu sacré de la seconde naissance. Malone renaît comme Axel : il peut agir et penser seul, avec autonomie et indépendance. Le nom “Malone” peut se décomposer en “Man Alone”.

Malone est inquiet pour la terre qu’il vient de découvrir : “pays de merveille”, “curiosité universelle”, “notre terre comme nous l’appelions amoureusement” (p. 317). C’est un retour(nement) : une prise de conscience des dégâts de la civilisation sur le primitif et une originalité prophétique, deux ans avant le début de la Première Guerre Mondiale en 1914. C’est un retour au monde perdu pour le préserver.

La dernière épreuve de Malone se passe avec Gladys : il retourne à la mère (le Monde Perdu), ou alors Arthur Conan Doyle condamne le féminisme de l’époque. Le passage dans lequel Challenger exhibe sa preuve est drôle, poétique et ultra-romantique : l’oiseau s’échappe et redevient gargouille.

Pourquoi cette admiration pour le ptérodactyle ?

Tout fascine chez le ptérodactyle. Ses grandes ailes rappellent le Moyen Âge et les ailes des chauve-souris qui symbolisaient les ailes du diable. Cela coïncide avec la découverte de l’aviation. Certains avions, au début, avaient des ailes de chauve-souris. À partir de 1930 naissent les super-héros comme Spiderman ou Superman.

Tout d’abord, le ptérodactyle peut voler – on retrouve le schème d’élévation. C’est aussi l’alliance du reptile et de l’oiseau, une hybridité : c’est un reptile menaçant, avec des ailes monstrueuses et maléfiques. Le ptérodactyle matérialise la terreur et le dégoût. C’est l’apparition du monstre, souvent ptéranodon et pas ptérodactyle.

L’auteur entretient une fascination constante avec le monstre, son rôle grandit au fil de la narration. Le ptérodactyle commence et finit le Monde Perdu : il est le monde perdu. C’est le fil conducteur de l’histoire et son rôle est culturel : c’est l’ange noir, qui intervient six fois (chapitres 4, 8, 9, 10, 15, 16). Il est évoqué verbalement au début car l’auteur entretient le suspense. Ensuite, le monstre grossit au fur et à mesure que l’on avance dans l’histoire.

Il existe un lien étrange entre Malone et le ptérodactyle, un lien initiatique. Sur la photo, le ptérodactyle se tient sur l’arbre que va abattre Malone. Il apparaît lorsqu’ils atteignent le monde perdu et dévore leur repas. Les monstres ophidiens appartiennent au monde mythologique des harpies, avec une bestialité dévorante. Le rôle symbolique du monstre est de se “monstrer” : il convainc l’incrédule de son existence, c’est un outil structurel aussi positif que négatif. Trois couleurs pour ce monstre : rouge (ses yeux), jaune (ses œufs) et noir (abîme).

Le vol du ptérodactyle est à la fois circulaire et isomorphe : il représente la circularité symbolique du temps. L’îlot inaccessible est au centre d’un lac, autour duquel le ptérodactyle tourne. Ce sont des cercles concentriques. Il y a toujours quelque chose qui échappe à la rationalité. Le Monde Perdu échappe au temps. Le monstre met en péril les théories scientistes car il est inconcevable, c’est la revanche du savant sur l’incrédulité du monde moderne.

Le ptérodactyle est un symbole d’éternité : il représente la permanence du mythe, le vigile monstrueux. Il est comparé à une gargouille médiévale : il est à la fois positif, négatif, et magique. C’est chez le ptérodactyle que Roxton va trouver des diamants : c’est le gardien des enfers, le gardien du trésor. Le diamant est éternel, lié à jamais à Roxton (Rock-Stone, l’homme du roc).

Conclusion

En conclusion, “Voyage au Centre de la Terre” et “Le Monde Perdu” illustrent la quête perpétuelle de l’humanité pour l’aventure et la découverte. Ces récits, bien qu’ancrés dans leur époque, demeurent intemporels par leur exploration des profondeurs de l’imagination humaine et de la confrontation avec l’inconnu.

Les personnages de Verne et Doyle, avec leurs voyages initiatiques et leurs quêtes personnelles, symbolisent notre désir intrinsèque d’explorer, de comprendre et de conquérir. En fin de compte, ces œuvres ne sont pas seulement des récits d’exploration géographique mais aussi des voyages métaphoriques vers la découverte de soi, offrant une réflexion sur la nature humaine et notre place dans un monde en constante évolution.

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