Jules Verne : Voyages au Cœur de l’Extraordinaire

  1. Le Voyage Imaginaire : l’exploration des mondes
  2. La structure narrative des 7 voyages de Sindbad le Marin
  3. Sindbad : la rhétorique de la vraisemblance
  4. Le Merveilleux, le Fantastique, et le Mythe dans Sindbad le Marin
  5. Jules Verne : Voyages au Cœur de l’Extraordinaire
  6. L’impact de l’illustration dans l’imaginaire vernien
  7. Géodésiques de la Terre et du Ciel
  8. Jules Verne et ses illustrateurs : une collaboration unique
  9. Jules Verne : les légendes sous les images
  10. Voyage au Centre de la Terre et Monde Perdu

Au carrefour de l’histoire littéraire, se dresse la figure emblématique de Jules Verne, auteur visionnaire dont les “Voyages extraordinaires” ont défié les frontières de l’imaginaire et de la réalité. Cette exploration débute neuf siècles après Sindbad, lorsque Verne rédige “Voyage au Centre de la Terre” en 1864.

Notre périple à travers cet article nous amène à nous interroger : que s’est-il passé entre le IXème siècle de Sindbad le Marin et le XIXème siècle de Jules Verne ? Comment les avancées en exploration géographique, les évolutions socioculturelles, et les bouleversements scientifiques ont-ils façonné l’univers de Verne ?

En nous plongeant dans le labyrinthe des mondes inventés par Verne, nous découvrirons comment son génie littéraire a su capter l’esprit de son temps, tout en anticipant les rêves et les cauchemars de l’avenir. Nous explorerons également le concept d’utopie et sa manifestation dans les récits de Verne, en le reliant à la tradition littéraire du voyage imaginaire et aux réflexions philosophiques qu’elle suscite.

L’exploration du monde

Beaucoup de choses et en particulier l’exploration du monde. Les connaissances et le manque de connaissances chez Sindbad font que l’inconnu laisse beaucoup de place à l’imaginaire. Avec le voyage imaginaire, nous avons la dialectique du connu et de l’inconnu. La propension du connu est de plus en plus forte à mesure que l’on approche du monde actuel.

Le monde, encore “ouvert” jusqu’à la fin du Moyen-Âge, va se refermer au début du XXème siècle. La première césure apparaît à la Renaissance et les grandes navigations, avec l’exploration de l’Ouest du monde, qui reste une énigme jusqu’en 1492.

Le monde moderne naît en 1492. Le voyage de Christophe Colomb est un voyage réel, qui marque l’inauguration du monde et de la civilisation (ainsi que la destruction des Incas et des Aztèques). L’imaginaire européen au XVIème siècle est déjà corrompu par l’argent et l’appât du gain.

Magellan, qui tourne autour du monde, et Vasco de Gamma nous donnent une meilleure connaissance du monde après le XVIème siècle, avec l’amélioration des bateaux et de la navigation, ainsi que l’exploration de l’Afrique (the Dark Continent). N’oublions pas non plus les grands mythes énigmatiques : les mers australes.

Au XIXème siècle, l’expansionnisme laisse sa place à la colonisation. Quelques pays se partagent le monde, dont la France et la Grande Bretagne. Les taches blanches (blancs) sur la carte sont de moins en moins nombreuses. À l’époque de Jules Verne, il restait encore un quart du monde qui restait inconnu, ce qui laissait libre cours à l’imagination.

L’utopie

La présence de l’utopie est un élément qui va correspondre à l’éclosion du monde civilisé. L’utopie, ce système alternatif à la société, est souvent subversive, et une tentative de réalisation d’un monde parfait. C’est un contre-modèle alternatif.

Dans une utopie, on imagine toujours un monde qui se trouve ailleurs, aux antipodes. Il y a une tentative d’inversion : ce monde fait le contraire de ce que nous faisons, avec un isolement de l’espace pour ne pas être perverti ou corrompu. Cet isolement est aussi marqué par la géométrisation poussée : il y a une idée d’insularité chez les utopistes, avec une dialectique entre l’intérieur et l’extérieur, et l’idée d’autarcie.

L’utopie peut être une satire religieuse, morale, sociale… et beaucoup font référence à l’Amérique. On retrouve des utopies célèbres dans Gargantua de François Rabelais, Utopia de Thomas More, La Cité du Soleil de Tommaso Campanella ou La Nouvelle Atlantide de Francis Bacon qui dépeint un monde purement technologique et scientifique. Francis Bacon invente tout simplement le monde que nous connaissons aujourd’hui.

Utopia est la préfiguration du monde actuel, c’est-à-dire matérialisée, géométrisée, totalitaire : le poète n’a pas droit de cité. Les premières utopies se heurtent aussi à l’Église. Pour y échapper, More trouve le modèle communiste et fait preuve de subversion.

Certaines aventures de Sindbad sont utopiques. Par exemple, dans le quatrième voyage, Sindbad porte un regard anthropologique sur la civilisation qu’il traverse.

L’utopie fait peur car elle est basée sur l’inversion. Par exemple, Animal Farm et 1984 de George Orwell. L’utopie est le “What if… ?”, elle est fortement liée par l’idée de progrès.

La raison, la rationalité, l’égalité commence dès le XVIIème siècle. Les utopistes bâtissent quand même un monde de contraintes : le monde de demain ne sera pas libre. Dans l’abbaye de Thélème (Gargantua), les garçons et les filles travaillent ensemble, et jouent ensemble : “FAIS CE QUE VOUDRAS”. Ce n’est pas une utopie mais une contre-utopie car libertaire. On pourrait la rapprocher de slogans tels que “peace, love, and music” ou “sex, drugs, and rock’n’roll”.

Les universités américaines sont présentent également des caractéristiques utopiques :

  • Architecture religieuse
  • Bâtiments géométriques isolés
  • Univers de liberté
  • Égalité garçons/filles

L’arrivée de l’utopie dans le paysage littéraire

Selon Victor Hugo, “l’utopie, c’est la réalité de demain”. L’utopie est donc ce qui arrive, pour le meilleur mais souvent pour le pire. Elle tend à prophétiser le monde, le pire : “BIG BROTHER IS WATCHING YOU”. On vous espionne mais pour votre bien, au nom de la fraternité.

1984 de George Orwell et Brave New World d’Aldous Huxley sont des dystopies. Science et progrès sont omniprésents.

Au départ, la colonisation était vue comme quelque chose de très positif : on apportait la culture, en pure fraternité. Il y avait d’abord l’explorateur, le missionnaire… lorsque Sindbad apporte la selle dans le pays étranger, c’est déjà une attitude colonisatrice (déjà, au IXème siècle).

Le progrès s’affirme par la domination des armes. On assied sa supériorité par l’usage des armes, la sophistication des bateaux et des instruments de navigation, la conquête de l’air avec le ballon. Survoler un pays, c’est déjà anticiper sa conquête.

Les premiers récits de Jules Verne sont expansionnistes et pro scientifiques. Il veut mieux connaître le monde. Ce côté idéologique est très marqué chez Jules Verne : le héros est scientifique, savant, explorateur et journaliste.

La genèse des voyages verniens

En 1848, Jules Verne a 20 ans et étudie le droit à Paris. Il mène une vie de bohème. Ses premiers écrits sont des livrets d’opéra. Il rentre dans l’art par la musique, et garde une fascination pour l’exotisme.

La légende veut qu’il ait eu une petite amie, Coralie, qui voulait du corail. Il se serait caché dans les cales d’un bateau et se serait fait attraper par son père avant la fin de l’estuaire de la Loire. Il aurait alors juré de ne voyager que par l’imaginaire…

Verne trouve l’équilibre entre la fiction et la réalité, ce qui est un véritable tour de force à l’époque. Il appelle son œuvre Voyages dans les Pays Connus et Inconnus. Il a un côté moderniste : il travaille avec des spécialistes de la documentation – il y a une véritable rhétorique de la vraisemblance, jusqu’à la didactique : il veut faire apprendre au lecteur, constamment.

Hetzel, son éditeur, le publie à condition que Verne écrive un certain nombre d’ouvrages. Il veut vulgariser et démocratiser la science. Les écrits de Verne s’inscrivent dans un projet didactique : Le Magasin d’Éducation et de Récréation.

Cela correspond au but de l’éducation, qui devient publique à cette époque. La didactique et le divertissement marquent l’importance de l’iconographie, avec une parfaite complémentarité entre le texte et les illustrations. Il n’y a aucune illustration qui ne trahisse l’esprit de Jules Verne.

Entre 5 Semaines en Ballon (1865) et Le Nouvel Adam (1907), on passe du progrès à l’abnégation du progrès, de l’imaginaire au fantastique.

Voyage au Centre de la Terre est le seul qui n’ait pas été réalisé, le seul voyage purement imaginaire de Jules Verne.

Les clichés sur Jules Verne

“Jules Verne est un auteur jeunesse”

Sa popularité (comme celle d’Alexandre Dumas) est plutôt négative : c’est de la littérature populaire, voire pour enfants.

Avec Hetzel, Jules Verne collabore pour former la jeunesse, avec un côté didactique. L’écriture vernienne a souffert de son côté “pour enfants” ou “pour adolescents” : le lecteur adulte ne le relit pas. L’iconographie alimente la didactique : c’est un cliché juste mais insuffisant, car il s’adresse bien à tous les publics, enfants et adultes.

Les aventures chez Jules Verne sont souvent d’origine américaine. Tout récit vernien vient du récit d’apprentissage qui commence par le processus d’identification du jeune lecteur avec les jeunes héros verniens et l’importance du merveilleux scientifique, de l’aventure (qui est plutôt un genre anglo-saxon comme dans Ivanhoe de Walter Scott), le mythe de la frontière de John Fenimore Cooper avec la Prairie qui influence énormément en Europe et en Angleterre.

“Jules Verne : un prophète, en avance sur son temps”

Jules Verne est un prophète, un visionnaire, un inventeur : “inventions scientifiques”. En fait, il n’en invente pratiquement aucune – le sous-marin de 20 000 Lieues sous les Mers existait déjà -, à part peut-être la machine à vapeur, un éléphant mécanique avec une maison à l’intérieur.

De la Terre à la Lune : ces voyages lui ont été inspirés par d’autres auteurs, (Cyrano de Bergerac). Son moyen de transport, un canon, est incroyable. La prophétie de Jules Verne n’est pas dans les machines mais le lieu de décollage de la fusée-canon est une prescience : il indique Tampa en Floride (la science retiendra Cap Canaveral, en Floride).

Jules Verne est fasciné par les Etats-Unis d’Amérique. Les voyages du capitaine Hatteras racontent l’histoire d’un capitaine dont le rêve est d’être le premier à atteindre le Pôle Nord, où il y trouve un volcan en éruption. Il grimpe malgré le danger jusqu’au sommet. L’équipage le rattrape mais Hatteras devient fou. Cette histoire aborde les thèmes de la folie, la démesure, la surhumanité, le dépassement, et la mégalomanie. Le génie de Jules Verne est dans le côté psychique, interne plutôt que dans le côté scientifique des machines.

“Jules Verne n’a jamais voyagé”

“Jules Verne n’a jamais voyagé”, ou à l’opposé “Jules Verne, ce grand voyageur” – ces deux affirmations sont fausses. Il a voyagé modérément car il a gagné beaucoup d’argent et s’était acheté un yacht. Il est allé deux fois en Amérique, en Scandinavie… Il a également beaucoup voyagé dans son imaginaire.

Dans Les Voyages dans les Pays Connus et Inconnus et Les Voyages Extraordinaires., la mission de Jules Verne est de résumer toutes les connaissances en géographie, géologie, astronomie, physiques amassées par la science moderne et refaire sous la forme attrayante qui lui est propre, l’Histoire de l’Univers. C’est un but didactique, laïque, républicain mais avec une grande part de stimulation imaginaire.

Je n’ai eu d’autre but que de peindre la terre et même un peu l’au-delà, sous la forme du roman.

Jules Verne

Jules Verne ne se contente pas de reprendre la science, il existe un côté incantatoire dans l’œuvre de Jules Verne en termes scientifiques. C’est un potentiel fabulateur de la science, alors qu’auparavant la science s’opposait à l’imaginaire et il ne fallait surtout pas les mélanger. Cela donne un effet irrationnel de la science sur l’imaginaire, alors qu’au XVIIIème siècle, la science (les Lumières) voulait dissiper l’irrationnel, l’obscurantisme. Il y a donc un potentiel rationnel, et irrationnel. Par exemple, lorsque les personnages sont sur la mer et qu’ils voient les dinosaures se battre, le discours en latin impressionnent la plupart des gens qui ne parlent pas latin : la langue est utilisée pour ne pas être comprise.

Jules Verne décrit la faune et la flore qui ont besoin d’être répertoriées. Il décrit comment la science fonctionne pour nommer “les choses inconnues”. Il rend compte de la nomenclature scientifique qui fascine les gens.

La science précède donc le texte vernien et n’est qu’un prétexte à l’exaltation de l’imaginaire. La science est mégalomane et cherche à couvrir l’étendue des connaissances. En 1860, les trois quarts de la Terre sont explorés. L’explorateur est un scientifique qui veut transformer l’inconnu en connu. Les premiers romans de Jules Verne se tournent vers l’inexploré : les sources du Nil, les pôles, et les fonds sous-marins en utilisant des moyens de transport révolutionnaires et extraordinaires : sous-marin, ballon, glaçon, radeau…

Le scientifique et le reporter

Chez Sindbad, déjà, il y a la potentialité du héros découvreur. Jules Verne dispose du voyage imaginaire et des évolutions technologiques du XIXème siècle. L’imaginaire de la science s’adresse au public avec la vulgarisation des savoirs. Les médiateurs de cette vulgarisation sont l’homme de science (les écrits scientifiques) et la presse (diffusion des informations). C’est l’apparition du “reporter”.

Au XIXème siècle, le scientifique et le reporter sont complémentaires. Grâce à la technique d’impression à grande échelle, ils peuvent rendre compte des progrès de l’histoire avec une visée didactique.

La tradition littéraire du voyage imaginaire

Jules Verne utilise la tradition du voyage souterrain, la catabase, et le voyage souterrain utopique. Le XVIIIème siècle voit une floraison d’ouvrages utopiques de “Terre creuse” qui abrite des civilisations, comme dans Icosameron de Giacomo Casanova.

La science n’arrête pas de changer d’avis à ce sujet. Des scientifiques émettent l’hypothèse d’une Terre à l’intérieur de la Terre. En 1818, John Cleves Symmes Jr., capitaine de l’infanterie américaine, pense aussi que la Terre est creuse et que l’intérieur est formé de cercles concentriques (Hollow Earth theory). C’est de la pseudo-science, pas de l’utopie. Edgar Poe, dans Les Aventures de Gordon Pym, utilise les théories de Symmes.

La science-fiction est le “what if… ?”. Jules Verne utilise la catabase d’Homère et de Virgile, le romantisme d’Hoffmann, le fantastique d’Edgar Poe, les hypothèses de Symmes et Davis… Il utilise la science et la pseudoscience. On ne comprend la fin qu’avec cet amalgame surprenant et des éléments mythiques.

Dans les œuvres romantiques, plusieurs posent problème, comme Laura, voyage dans le cristal de George Sand, qui aborde l’inconscient collectif et le thème de la Terre creuse (Hollow Earth) dans l’air des années 1860.

Alexandre Dumas a écrit plus de 80 romans et Isaac Laquedem (1852) a été le seul censuré pour raisons politiques et religieuses. Isaac refuse d’aider Jésus à se relever lors du chemin de croix. C’est le “Juif Errant”, immortel et condamné à marcher. L’œuvre est prévue en 30 volumes mais Dumas écrira seulement une partie du premier volume, soit une quarantaine de chapitres. L’alliance de la science et du mythe est très vernien, comme la catabase et la référence à Virgile.

Le discours de Dumas préfigure celui de Verne :

  • Il transforme la nature en musée
  • Il dresse le grand inventaire du monde
  • Plus on descend dans l’espace, plus on remonte le temps
  • Discours scientifique didactique

Le XIXème : siècle des nouvelles sciences enfouies

Le XIXème siècle voit la création de nouvelles sciences enfouies : la zoologie, géologie (discours de la terre), l’archéologie, l’ethnologie et la paléontologie (discours des origines), qui sont des termes purement mythiques. Mais pourquoi attendre le XIXème siècle pour savoir ce qui se trouve sous nos pieds ? C’est au XIXème siècle que l’on voit l’apparition d’os et de vestiges : les hommes avaient peur de ce qu’il y avait tous leurs pieds (les morts), ils avaient peur (prolifération des revenants ; étude des squelettes). Cuvier a reconstitué des animaux préhistoriques, Owen fait naître la paléontologie (science des fossiles).

La première révolution est le réveil d’animaux morts. La science était censée effacer le passé mais en fait il refait surface, grâce à elle. L’homme déterre des choses qui le dépassent alors que la religion prônait l’anthropocentrisme (l’homme au centre du monde). On déterre des animaux morts mais aussi des mythes (dragons…). La science alimente les mythes.

En archéologie, Schlimann fait la découverte des ruines de Troie en se fondant sur les écrits d’Homère. On découvre que la mythologie est fondée sur une réalité. On découvre les pyramides, les cités Incas, Aztèques et le palais de Knossos en Crète. En 1840-1850, on découvre des civilisations toutes les plus sophistiquées les unes que les autres. Plus on s’approche du XXème siècle, plus on découvre de civilisations, comme la tombe de Toutenkhammon.

L’archéologie suscite des centaines de publications. On découvre des civilisations qui avaient inventé de grandes choses, que l’on n’a pas inventé. Au XIXème siècle, plus on découvre et plus les découvertes s’accélèrent. On trouve des civilisations qui nous ont précédées et qui sont parfois très raffinées :

Nous savons désormais, nous civilisations, que nous sommes mortelles.

Paul Valery, 1912

Cela signifie que si des civilisations aussi raffinées que les nôtres se sont éteintes, alors nous pouvons également nous éteindre. C’est la découverte de notre mortalité et la dialectique du supérieur et de l’inférieur. Le XVIIIème siècle représente la lumière et l’espoir. Le XIXème siècle nous rappelle que nous allons tous mourir, dans une vision pessimiste. Le passé n’est pas mort, il peut refaire surface. Les effets de ces nouvelles sciences sont en rapport avec l’imaginaire.

Alors que les Lumières prônaient le progrès, les sciences creusent des trous pour connaître le passé : c’est une inversion et une renaissance de l’obscurantisme. La science nous donne des verges pour nous faire battre. Ce sont les sciences de la profondeur, de la verticalité : le géologue descend et plus il descend, plus il remonte l’histoire du monde. Le progrès, censé nous tourner vers l’avenir, nous replonge vers le passé. Le but vernien est ambigu, comme la science, orienté à la fois vers le passé et le présent.

L’ethnologie est mort-née : le temps de découvrir les sociétés primitives, ces dernières meurent à cause de la civilisation et du progrès. C’est pathétique. Enfin, la géologie est l’obsession du passé vertical.

En résumé, le XIXème siècle est basé sur la verticalité. L’homme trouve sous ses pieds des choses merveilleuses et des choses qui remettent en cause notre conception de l’histoire. C’est un retour du passé : tout est de retour (merci les scientifiques !). On retrouve ce motif dans la science-fiction, qui aborde à la fin la conquête du monde et la fin du monde.

Après Jules Verne, il y a eu énormément de voyages au centre de la terre dans la fiction. Hollow Earth novel, tale, fiction : popularisé par Symmes et Poe. La recherche des origines favorise la naissance des sciences verticales.

Il y a le schème de la verticalité mais aussi les schèmes de l’intériorisation et de l’immersion dans les profondeurs : Freud et les profondeurs de l’inceste, Young et les profondeurs de la psychologie.

Toutes ces recherches impliquent une descente aux enfers (descensus ad inferos)

Mircea Eliade

Le Voyage au Centre de la Terre est une gigantesque allégorie pour une descente dans les profondeurs de notre vie intérieure. C’est un double mouvement vertical, spatial et temporel. Le romancier explore l’inconnu vertical, à la recherche du monde qui a été perdu, enfoui. La quête prend la forme d’une anamnèse (la récupération de la mémoire) : c’est un itinéraire à remonter le temps, au fur et à mesure que l’on descend. Plus on se rapproche du centre et plus les héros peuvent contempler, d’une façon mystique, la vie originelle, pro-historique. C’est la Terre-mère ; la plus ancienne religion consistant à considérer le Terre comme sa mère. Dans l’ancien-nouveau monde, la nouveauté se trouve dans l’ancien, l’inconnu est notre passé : “fouillez dans l’inconnu pour trouver du nouveau”.

Le XVIIIème siècle marquait l’ennui général. Il y a donc un retour à l’histoire, à l’ancien-nouveau monde, ce qui génère un intérêt nouveau. La quête est terminée, dès qu’a été vu le premier homme, le père de nos pères, ou le dernier témoin. Le voyage au bout de la terre est un voyage ay bout du temps, une quête métaphysique et ésotérique (influence de Laquedem).

Il existe une volonté de rationalisation sur un schème pérenne, depuis très longtemps : méfions-nous de la rationalité des apparences. Comme chez Sindbad, l’auteur allie la vraisemblance à une tradition fabuleuse, légendaire et mythique.

Cependant, au XVIIIème siècle, la vraisemblance est uniquement scientifique et Jules Verne se base sur des faits scientifiques. La vraisemblance repose sur la topographie (descriptions des côtes, noms des lieux…), la chronologie (dates, précisions temporelles, chroniqueurs), les détails, le choix des personnages avec l’omniprésence de la science chez les deux personnages principaux (le maître savant et l’apprenti), les énumérations (choses, animaux, hommes), les indications minéralogiques et l’utilisation de noms savants. Jules Verne a consulté nombre d’ouvrages scientifiques et des spécialistes de phénomènes sismiques (vulcanologues).

Au début du roman, l’explication de la constitution interne du globe déclenche le voyage pour la vérifier : le pré-texte est scientifique. La préparation du voyage fait preuve de réalisme (chez Sindbad aussi, mais en moins détaillée) grâce à la minutie (liste d’équipements pour l’éclairage). Les notes sont très spécifiques, plus que complètes (formation de la houille, explications de fonctionnement de l’éclairage, louanges de son inventeur).

Plus le voyage avance et plus les références au réel diminuent. La vraisemblance du début se perd à la fin. Sindbad voyage de l’Ouest vers l’Est (l’origine est fantastique) alors que Jules Verne voyage du haut vers le bas de manière verticale, de l’ordinaire vers l’extraordinaire. Jules Verne entrelace le réel à l’imaginaire et c’est parfois même le vocabulaire scientifique qui nous fait rêver.

Conclusion

En refermant le chapitre de notre voyage à travers les “mondes inventés” de Jules Verne, nous constatons que son héritage dépasse largement le cadre de la littérature d’aventure. Verne n’était pas seulement un conteur d’histoires extraordinaires ; il était un architecte de mondes, un visionnaire qui a su tisser les fils de la science, de la géographie, et de l’imagination.

Ses récits, bien que marqués par les idéaux et les limites de son époque, résonnent encore aujourd’hui par leur capacité à éveiller notre curiosité et à stimuler notre soif d’exploration. En explorant les profondeurs de la terre et les vastitudes de l’espace, Verne a également sondé les profondeurs de l’âme humaine, reflétant nos espoirs, nos peurs et notre quête incessante de connaissance.

Ainsi, les “Voyages extraordinaires” de Jules Verne demeurent non seulement un trésor de la littérature mondiale mais aussi une invitation intemporelle à voyager au-delà des frontières du connu, vers les territoires infinis de l’extraordinaire.

Articles conseillés :

Opinions