Discours sur l’école d’Elisabeth Badinter

Je ne résiste pas à partager ce magnifique discours d’Elisabeth Badinter sur l’école :

Élisabeth Badinter est une femme de lettres, philosophe féministe et femme d’affaires française, présidente du conseil de surveillance du groupe Publicis, membre du comité de parrainage de la Coordination française pour la Décennie de la culture de paix et de non-violence.

Elle a également été nommée membre du conseil scientifique de la Bibliothèque nationale de France. L’école d’Asnières-sur-Seine (Hauts de Seine) et le collège de Quint-Fonsegrives (Haute-Garonne) portent son nom.

Un grand honneur et un grand bonheur de baptiser ce collège qui porte mon nom, non seulement parce que l’enseignement a été au centre de ma vie, mais avant tout parce que l’école est l’institution la plus importante de la République. Sans elle, le triptyque républicain est un objectif purement utopique, sans moyen de réalisation.

Chacun sait bien que l’école, à la différence des moyens modernes de communication, elle a seule voix, de l’apprentissage de l’esprit critique, et donc de la liberté de penser. Elle est aussi le premier instrument de l’égalité des chances, ce qui ne signifie pas à mes yeux l’obligation de l’égalité des résultats. Mais depuis quelque temps, j’entends un peu trop à oublier qu’elle est aussi au coeur, sinon de la fraternité, du moins de la construction d’une identité culturelle partagée, de notre sentiment d’appartenance au même pays, c’est-à-dire, au coeur de la prise de conscience d’un destin commun. En apprenant la même langue, la même histoire, en lisant les mêmes auteurs, nous intégrons pour la vie, un socle commun de connaissances et de valeurs qui nous unit.

C’est pourquoi, Il est essentiel d’exiger que les enfants laissent à la porte de l’école leurs différences d’origine, de culture, de religion, comme il est indispensable de défendre bec et ongles, notre principe de laïcité. Si l’on veut que l’école continue d’être ce creuset de notre cohésion à tous, il faut cesser de proclamer le droit à la différence dès le berceau et au contraire lutter pour préserver ce lieu d’apprentissage de nos valeurs que nous menons. Il faut lutter pour renforcer ce qui nous unit plutôt que de sacraliser ce qui nous distingue.

Faut-il encore que les parents d’élèves et l’ensemble de la communauté éducative en soient bien convaincus pour que les enfants le soient aussi. En effet, l’école est une institution qui implique la participation de trois types d’acteurs différents: les professeurs, les parents d’élèves, et leurs enfants.

Ayant été pour ma part professeur, parents et élèves je voudrais m’adresser à chacun d’entre vous. D’abord, mes collègues enseignants qui m’ont fait l’honneur de me désigner comme marraine de cet établissement je sais que leur tâche a bien changé depuis vingt ans et qu’elle est certainement plus difficile aujourd’hui qu’hier Je tiens à leur dire ma profonde solidarité, car j’observe que la société pèse de tout son poids la communauté enseignante sans pour autant lui simplifier la tâche de l’école, c’est-à-dire de vous professeurs.

On attend tout. Non seulement d’instruire et former l’esprit des enfants, mais aussi les éduquer, les écouter, voire les soigner psychologiquement quand ils ne vont pas bien. Autrement dit, réparer les difficultés sociales et pallier aux fragilité familiale. Pour le public de consommateurs que nous sommes devenus, l’école est tenue responsable de tous les échecs de la société. Tant et si bien que pas une semaine ne se passe sans qu’un journal ne fasse le procès de l’école. Elle n’intègre plus, dit-on, les enfants d’origine étrangère, elle n’apprend plus bien à lire et à écrire et à compter et même Le monde de l’éducation, il y a une quinzaine de jours, titrait en une, “le malaise des jeunes, la faute de l’école”. Ils fustigeaient une orientation par l’échec et des diplômes qui ne donnent plus accès à l’emploi. De la responsabilité du politique, de celle des parents et de nous tous qui avons choisi la posture passive des victimes, il n’est jamais question. Le bouc émissaire aujourd’hui, c’est vous les enseignants, les seuls responsables des maux de la société.

Au passage on a oublié l’immense majorité des enfants que vous avez formés, accompagnés jusqu’à l’âge adulte. Ces moments de grâce où vous les avez faits progresser malgré les difficultés des uns et des autres. A vous mes collègues je dis merci.

Un mot maintenant aux parents d’élèves Je les supplie d’être toujours solidaires des enseignants de leurs enfants. Et je le leur dis avec d’autant plus de force mais aussi de honte qu’il m’est arrivé de ne pas observer cette règle. Oui, parfois j’ai pris le parti de mes enfants et je le regrette profondément. J’ai eu tort. Non que les professeurs soient des saints qui ont toujours raison, mais l’élève doit être convaincu de la totale cohésion entre professeurs et parents pour pouvoir avancer. Prendre le parti de ses enfants contre les enseignants est un mal de plus en plus répandu qui affaiblit considérablement l’institution. Si les parents ne montrent pas un vrai respect des professeurs et vice versa il est inévitable que les enfants fassent de même et que l’autorité du professeur en pâtisse irrémédiablement. Mesdames et messieurs, il faut se résoudre à admettre que nos enfants ne sont pas toujours les petits anges studieux que nous voulons imaginer, et que la patience d’un enseignant a parfois des limites.

Enfin je dirai aux élèves qui sont là s’ils sont là. Je dirai aux élèves que je n’ai pas oublié, je n’ai pas oublié leur âge et leur condition. Loin d’être une élève brillante qui comprend tout au quart de tour, j’appartenais à la catégorie nombreuse des élèves moyens. Je me souviens encore des difficultés à comprendre la géométrie que des professeurs patients tentait vainement de me faire pénétrer. Je sais, je sais l’ennui et le découragement que l’on peut ressentir l’envie de jeter l’éponge et de se dire c’est pas pour moi donc je m’en détourne. Au contraire, je dis aux enfants: accrochez-vous. Faites tout ce que vous pouvez, rattrapez-vous sur d’autres disciplines. Toutes les connaissances acquises sont des richesses pour la vie tout ce que vous apprenez, tout ce que vous comprenez, personne jamais ne pourra vous le reprendre. Même si l’apprentissage n’est pas toujours un chemin par semaine rose, sachez bien que l’école est le plus beau cadeau que l’on puisse faire à des enfants. Alors à tous, bon vent dans ce nouveau collège, mes voeux les plus chaleureux vous accompagnent pour toujours.

Elisabeth Badinter

Cela fait plaisir d’entendre ce genre de discours, ce n’est pas tous les jours qu’on entend cela.

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