L’impact de l’illustration dans l’imaginaire vernien

  1. Le Voyage Imaginaire : l’exploration des mondes
  2. La structure narrative des 7 voyages de Sindbad le Marin
  3. Sindbad : la rhétorique de la vraisemblance
  4. Le Merveilleux, le Fantastique, et le Mythe dans Sindbad le Marin
  5. Jules Verne : Voyages au Cœur de l’Extraordinaire
  6. L’impact de l’illustration dans l’imaginaire vernien
  7. Géodésiques de la Terre et du Ciel
  8. Jules Verne et ses illustrateurs : une collaboration unique
  9. Jules Verne : les légendes sous les images
  10. Voyage au Centre de la Terre et Monde Perdu

L’œuvre de Jules Verne, riche en imaginaire et en aventures, a captivé des générations de lecteurs. Parmi ses nombreux romans, “Voyage au Centre de la Terre” se distingue par son mélange unique de science, de mystère et d’émerveillement. Un élément crucial mais souvent sous-estimé de cette œuvre est l’impact de ses illustrations.

Ces images ne sont pas de simples embellissements ; elles jouent un rôle fondamental dans la façon dont le récit est perçu et interprété.

Dans cette analyse, nous explorerons comment l’illustration enrichit l’imaginaire vernien, en servant de pont entre le texte et la vision du lecteur, et comment elle contribue à une compréhension plus profonde de l’œuvre.

Fondements et évolution de l’iconographie vernienne

Au cœur de l’imaginaire de Jules Verne se trouve une riche tapestrie d’illustrations qui façonnent et enrichissent son récit. Ces images, loin d’être de simples ornementations, sont ancrées dans des critères précis, souvent tirés des descriptions scientifiques et fantastiques de Verne. Elles servent de catalyseurs visuels, transformant le texte en un monde vivant et respirant, permettant aux lecteurs de plonger plus profondément dans les aventures narrées.

L’évolution de l’iconographie vernienne de ses débuts à sa conclusion est significative. Initialement, les illustrations tendaient à être plus ancrées dans le réalisme scientifique, reflétant la rigueur et la précision des descriptions de Verne. Cependant, au fil du récit, ces images prennent une tournure plus fantastique et onirique, écho à l’évolution du récit lui-même.

Cette transition s’observe notamment dans la manière dont les paysages et les scènes deviennent progressivement plus exotiques et moins ancrés dans la réalité tangible, soulignant ainsi le passage du monde connu vers le royaume de l’inconnu et du fantastique.

L’égarement d’Axel et son initiation

Dans “Voyage au Centre de la Terre”, le personnage d’Axel incarne l’archétype de l’initié, dont le périple est jalonné de symboles et de rites de passage. Son égarement dans le labyrinthe souterrain symbolise une quête intérieure, une descente dans les profondeurs de son être. Les illustrations qui accompagnent ces scènes ne se contentent pas de dépeindre des lieux ou des actions ; elles incarnent les étapes de sa transformation. Le grand déchiffreur est Axel et non Lindenbrock (il est initié mais ne peut déchiffrer). La crypte est la copie de ce qui se passe en haut.

La crypte, où Axel découvre des cryptogrammes, est plus qu’un simple décor : elle représente un lieu de révélation, où le monde souterrain se mêle à l’ésotérisme. Les illustrations, dans ces moments, tendent à mettre en lumière l’importance de ces révélations, souvent par des jeux d’ombre et de lumière qui soulignent le contraste entre l’ignorance et la connaissance.

Lors du Solstice d’Été, la célébration religieuse et le thème du pèlerinage sont subtilement intégrés dans les illustrations, renforçant l’idée d’une quête sacrée et d’une initiation. Les épreuves et les rituels traversés par Axel sont capturés dans des scènes à la fois dramatiques et purificatrices, où chaque élément visuel contribue à la narration de son voyage intérieur.

On retrouve Axel, miraculeusement. Jules Verne l’explique scientifiquement, grâce aux lois de la physique. On peut y voir également l’importance du spiritisme, le dialogue avec les morts, populaire à l’époque. Les sons guident Axel : il chute et perd connaissance constamment. Il se réveille dans une grotte, un lieu sacré. Le statut d’Axel commence alors à changer.

Il est guéri par Hans avec un onguent (un peu surnaturel) et devient le futur héros du récit : Axel devient l’axe du récit et trace la trame exemplaire du récit initiatique. L’axe est également vertical : on commence en haut d’un clocher et on descend. Au début, Axel est spectateur ; maintenant Axel est un acteur vivant l’aventure. Il devient l’égal de Hans et de Lindenbrock et graduellement, le scientifique laisse place au fantastique.

Symbolisme et métaphores dans l’imaginaire vernien

Les illustrations dans “Voyage au Centre de la Terre” sont imprégnées de symbolisme et de métaphores, renforçant les thèmes et les motifs du récit. Un exemple frappant est la scène où Axel se baigne nu dans une mer souterraine, qu’il nomme “Méditerranée” (la terre du milieu). C’est une véritable plongée dans les eaux primordiales : “regressus ad uterum“, le retour à la mer/mère primitive.

Cette scène est chargée de significations : un second baptême, une purification, un retour à l’enfance, et un rappel de la mythologie grecque avec l’eau du Léthé. Les illustrations ici jouent un rôle crucial, non seulement en dépeignant ces moments mais en les amplifiant, en leur donnant une dimension visuelle qui transcende le texte. Cela permet un retour aux origines du monde, qui se fait par un rêve éveillé d’Axel. Jules Verne lui donne une place de choix pour accéder au Grand Secret.

La représentation horizontale de l’imaginaire vernien, par opposition à la verticalité victorienne, marque un changement dans la perception du monde. Les images reflètent cette transition, en montrant comment la vision d’Axel – et par extension celle du lecteur – passe d’une perspective scientifique à une vision plus onirique, poétique et initiatique. C’est dans ces illustrations que le schéma darwinien, mentionné dans le texte, prend vie, se mêlant à une quête du chaos primordial.

La scène clé où Axel comprend que l’on ne peut atteindre le centre de la Terre que métaphoriquement est magistralement capturée dans les illustrations. Elles montrent un mélange de créatures contemporaines et préhistoriques, symbolisant la cohabitation du passé et du présent. Cette coexistence des temps dans l’imaginaire vernien est un élément central, et les illustrations servent à le rendre palpable et visuellement saisissant pour le lecteur.

C’est peut-être la scène clé du livre : on ne peut atteindre le centre de la terre que métaphoriquement. Ce retour aux origines n’est pas innocent : dans l’illustration du rêve, on trouve à la fois des animaux contemporains et des animaux préhistoriques. Les animaux morts et vivants cohabitent : cela signifie que ce qui est ancien peut être contemporain, et cela prépare l’apparition des animaux fantastiques.

L’imaginaire et la structure narrative

L’imaginaire dans “Voyage au Centre de la Terre” est intimement lié à la structure narrative, et les illustrations jouent un rôle essentiel dans la façon dont cette relation est exprimée. Le rêve d’Axel, un élément clé du récit, est un excellent exemple. Il n’est pas seulement un moment de détente narrative mais un point de basculement, où le monde de la science cède la place à celui du fantastique.

Les illustrations de ce rêve ne se contentent pas de reproduire les visions d’Axel ; elles les élargissent, leur donnant une profondeur et une complexité supplémentaires. Elles oscillent entre le réel et l’onirique, entre la science et le fantastique, reflétant le conflit interne d’Axel et son passage graduel d’une compréhension littérale à une interprétation plus symbolique et métaphorique du monde qui l’entoure.

Les images jouent également un rôle dans la représentation du discours d’Axel, qui devient de plus en plus profane au fur et à mesure que le récit avance. Les illustrations accompagnent ce changement, passant de la représentation de phénomènes scientifiques à celle de scènes plus fantastiques et surréalistes, reflétant la transformation intérieure d’Axel et son éloignement d’une vision purement scientifique du monde.

Il n’y a pas d’antagonisme entre l’imaginaire et la lecture la plus prosaïque, qui est le prolongement du rêve d’Aaxel, ainsi que la rhétorique qui prépare le lecteur à la venue de l’incroyable et du discours fantastique. L’imagination d’Axel fonctionne en même temps que la construction de son récit. Le discours est totalement profane : il pose des questions sur le monde d’un point de vue romantique et non scientifique.

À la page 257, un poisson censé être mort est pris vivant. On affiche le scepticisme pour poser le fantastique. Le seul fait de poser la question, c’est déjà y répondre. Cuvier trouve un os et imagine le squelette entier. Les enfants voient le squelette et imaginent le dinosaure : cela souligne l’importance de l’imagination.

“J’observe l’espace”, cela représente-t-il l’espoir ou la crainte ? Nous sommes tentés de vérifier. Cette tentation est renforcée par le discours du non-dit qui prépare l’arrivée du fantastique. “Ferraille mordue !” (p. 266) : le point d’interrogation devient exclamation. Les indices s’accumulent. “Mon rêve de la nuit dernière va-t-il devenir réalité ?” – bien sûr que oui !

Les pages 269 et 270 rendent compte d’une prolifération d’animaux contemporains qui ont des dimensions surnaturelles : c’est la rhétorique du fantastique. En fait, il n’y a que deux bêtes : Lidenbrock est un scientifique et n’a pas peur ; Axel est dans le merveilleux et fait la description de l’hybridité du monstre (qui appartient à la tératologie). On retient la peur à la fin du chapitre 33.

Le “geyser”, qui signifie “eau-de-vie” en Scandinave, est décrit comme fantastique. C’est l’eau de feu renvoyant au chaos primordial, aux premiers combats de la nature. Il marque également la fusion des éléments : l’eau, la terre, et le feu. C’est un baptême du feu.

Avec la “tempête”, Hans est décrit comme antédiluvien : c’est la contamination du préhistorique et la hantise progressive de l’imagination. C’est le basculement du récit : on passe de la question “où allons-nous ?” à la question propre au XIXème siècle : “d’où venons-nous ?”. La vision du ptérodactyle apparaît p.288 et, rituellement, Axel s’évanouit : cela marque pour le lecteur une nouvelle étape dans la quête.

On trouve à la page 308 le squelette d’un homme du quaternaire plus fantastique que scientifique. C’est la découverte de cimetières d’ossements. Axel a le privilège d’assister à cette scène. C’est plus merveilleux pour Axel que pour l’oncle.

Dans les pages 306 à 308, Jules Verne accumule les preuves scientifiques mais cela ne fonctionne plus. L’homme du quaternaire n’est pas un squelette mais une momie. C’est l’illustration de l’imaginaire vernien, pour lequel la mort n’est qu’un prétexte. On pourrait s’arrêter là mais on atteint la vision finale grâce au rêve d’Axel. Du point de vue initiatique, c’est une régression d’Axel qui, au lieu d’atteindre le centre, assiste à l’indescriptible : les restes de ses ancêtres. Nous sommes dans le fantastique : on ne sait pas si cela est vrai ou non, c’est une pirouette de la part de Jules Verne.

La quête passe par la réintégration des origines. Jules Verne nous emmène aux débuts du monde, et non au centre de la terre. Il faut lire le livre comme une quête mythique. Toutes les lectures sont complémentaires. C’est merveilleux et fantastique : face à une nature terrible, on peut avoir deux réactions contradictoires, c’est beau ou c’est terrifiant.

L’esthétique de l’imaginaire vernien

L’imaginaire vernien est insulaire, avec des cavernes et des mondes intérieurs (sous-terrains et sous-marins). Tout est intériorisé, en cercles concentriques.

Les machines font preuve de démesure et de gigantisme. Elles sont menace et espoir à la fois. Cette science n’est pas totalement fiable : cela explose, tombe en panne. Tout est précaire : oh, c’est beau ! Boom. En 1920, on croit être libre grâce à la technologie – on passe du merveilleux au fantastique.

La sortie du labyrinthe et le réveil d’Axel sont un point important dans l’histoire. On a l’impression d’une gulliverisation des personnages (p.233) – ils deviennent liliiputiens. C’est surprenant, insolite, étrange. Ils découvrent un monde intérieur semblable au nôtre. Les nuages sont menaçants. Les personnages sont complètement écrasés. Ils font de grands gestes.

Le rocher forme une structure d’enfermement oppressant : c’est un décor mais n’oublions pas que Jules Verne a commencé sa carrière professionnelle en tant que secrétaire de théâtre. Il a occupé ce poste au Théâtre Lyrique de Paris dans les années 1850. Ce travail lui a donné une expérience précieuse dans le domaine de l’écriture dramatique lorsqu’il écrivait des livrets d’opérette et l’a probablement influencé dans ses œuvres de fiction ultérieures. On retrouve cela dans le côté théâtral du décor et dans l’attitude des personnages, ainsi que dans la percée de la mer surréaliste.

Page 148, la descente commence. C’est la dernière fois que l’on voit le ciel. Page 233, on voit la mer Lidenbrock. Page 162, on a une sorte de cathédrale gothique, avec la forme d’ogives : la Nature semble imiter l’Art. C’est ce que Freud appelle “l’insolite familiarité” : ce qui est étrange peut parfois être familier.

Image après image, on accentue la descente dans la terre et l’amplification de l’imaginaire. La verticalité est de plus en plus renforcée, la descente est en tire-bouchon. La réalité est métamorphosée par le dessinateur, avec la présence du chiaroscuro, de l’héritage romantique. Page 185, les personnages sont déjà réduits via une nannification par l’écrivain et le dessinateur.

Axel n’est qu’un spectateur. Plus il rapetisse et plus il est réduit à la passivité. N’en pouvant plus, il fait sauter le rocher : c’est un geste prométhéen, il se prend pour un dieu. C’est ce que les anciens appellent “le péché d’hubris”.

À partir de la page 214, il n’y a plus rien de merveilleux, cela pourrait se passer n’importe où. C’est la constante de l’aspect mystique, avec les métaphores du discours et iconographiques, l’atmosphère solennelle de l’intérieur d’une église. L’iconographie s’adapte au discours vernien et à l’implicite : c’est la quête initiatique.

Page 228, Axel est gisant, on a l’impression de voir la mort du héros. Tout est flou, onirique, fantastique et merveilleux. On y voit ce que l’on veut, c’est le flou artistique (spiritisme ?) et la mort symbolique. Les lumières en cercles concentriques peuvent symboliser la vie éternelle : elles donnent corps à une interprétation mystique et donnent à Axel un visage extasié.

Page 241, les champignons sont le syndrome du Schtroumpf. C’est l’inversion, la différence d’échelle. On a l’impression d’être dans un monde inversé, familier et tellement invraisemblable. L’homme est tellement écrasé par ce qu’il voit qu’il ne peut que regarder passivement, comme le font les enfants. Le merveilleux est le retour à l’enchantement de l’enfance, à la régression à l’époque de l’enfance.

Tout ce voyage est un voyage au centre du temps. Plus on descend spatialement et plus on remonte le temps. L’enfant, c’est Adam, le début du monde. L’image amplifie ce qui est implicite chez Jules Verne. Lorsqu’Axel se baigne (p.246), Axel est face à la verticalité, il se baigne dans le seul rayon de lumière de l’image. C’est la réunion des quatre éléments : l’eau, la terre, l’air et le feu (la lumière).

Page 268, on a l’impression qu’ils affrontent un serpent de mer. C’est du pur Sindbad, Ulysse, ou Hercule. Page 273, le radeau est minuscule par rapport aux monstres préhistoriques. L’initiation héroïque est seulement symbolique. On nage dans le délire mystique. La dynamique de l’imaginaire est amplifiée par l’iconographie. Plus les personnages descendent et plus l’image délire.

Le rêve d’Axel est-il réel ou virtuel ?

Edgar Poe et Charles Baudelaire, à la fin du XIXème siècle, ont beaucoup d’influence sur Jules Verne, notamment sur l’esthétique de l’horreur. La peur joue un rôle dans l’épreuve initiatique : il faut terrifier les gens pour les faire réagir. C’est la vertu positive de la peur. Cette peur n’est jamais loin du merveilleux, le sublime et le transcendant.

On ne peut comprendre la réalité que par l’imaginaire. Le voyage imaginaire est surtout initiatique. Les trois livres (Sindbad le Marin, Voyage au Centre de la Terre, Le Monde Perdu) sont strictement semblables au niveau de la rigueur.

Le rêve d’Axel rappelle Todorov : est-il réel ou virtuel ? La fiction devient réalité, Axel raisonne comme son oncle à la page 318, comme celui qui l’a initié. D’abord, il voit un troupeau de pachydermes. Ensuite, il voit un être humain, qu’il décrit mythologiquement. C’est Protée, le dieu de la métamorphose, le fils de Neptune. La phrase latine est tirée des Énéides de Virgile, “Descende, audax viator, et terrestre centrum attinges” (Descends, audacieux voyageur, et tu atteindras le centre de la Terre). “Être fossile”, “cadavre”, “ossuaire” : ce qui était mort ne l’est plus, c’est fantastique. On s’attend à une description réaliste et on a en fait une scène mythologique.

La notion de guide est importante : le rameau est le signe de la sagesse. Lorsqu’il descend aux Enfers avec Énée, Virgile se promène avec un rameau. C’est un “berger antédiluvien” qui marque l’anticlimax. Cela a un effet sur les personnages : ils restent “immobiles”, ce sont des spectateurs passifs qui fuient. Pourquoi ? Cette réalité ultime est insupportable pour les yeux du XVIIIème siècle.

Le “redoutable ennemi” n’est pourtant pas hostile, puisqu’il est décrit comme un “berger” auparavant. Axel a surtout peur des effets sonores : c’est une peur archaïque, pas une peur du XIXème siècle. Cette peur est à la fois physique et morale. Cette “surnaturelle rencontre” est un spectacle fantastique. “Que croire ?” marque la rhétorique de la crédulité. C’est “insensé” : rétrospectivement, on se demande s’il veut se convaincre lui-même ou s’il cherche à convaincre le lecteur.

Mais, arrivé à ce point de folie du récit, est-ce important de savoir ce qui est vrai et ce qui est faux ? Non, c’est la conclusion d’un voyage de plus en plus insensé. Il n’y a pas que le livre qui peut constituer une preuve. Ce n’est qu’une fable. Ce qui importe, c’est la cohérence du récit et non sa rationalité : c’est à partir du rêve que l’on accède à la réalité.

Le “surnaturel” appartient au registre fantastique, c’est presque religieux. Le plus important est la cohérence du récit et non sa rationalité : c’est la description de l’onirique qui devient réalité. Il suffit de prononcer le mot pour que la chose existe : les mots “image” et “magie” ont la même étymologie.

Axel ne peut le croire et veut préserver une certaine forme de raison. La science, malgré elle, contribue à la ré-émergence d’espèces disparues : c’est de l’anenthropie, le processus par lequel des espèces disparues réapparaissent ou sont redécouvertes grâce à la science.

Les scènes merveilleuses et fantastiques sont alternées, qui marquent la régression à l’âge d’enfant et les traumatismes salutaires. “Les branches craquaient” : le bruit fait peur. Dans les initiations pubertaires, on utilisait des rhombes (des instruments à vent) pour faire peur au futur “initié”. La peur est créée par la vision (ou non), l’ouïe (ou non) et l’odorat. Axel ne voit pas un homme mais le Grand Ancêtre et métaphoriquement, a accès à cette apothéose visuelle. C’est une vision au sens mythique, une apparition, et pas une communication. Ce sont les points extrêmes : le rêve, et le but de la quête. C’est un espace sacré et fantastique avec le paradoxal : la vie dans la mort.

Ce n’est pas le but espéré à cause de la raison scientifique et d’une initiation au premier degré : l’accès au sacré est très bref. La pénétration de la terre-mère tourne au viol et Axel demeure quelqu’un d’immature. Or, la patience doit être l’une des qualités de l’initié. Il ne fallait pas faire exploser le rocher millénaire. Axel fait preuve de surexcitation mais l’initié doit être capable de maîtriser ses passions. C’est aussi une erreur du guide, qui n’aurait pas dû le lui permettre. Axel est possédé. Sans Hans, il se serait noyé. La Quête du Soi est réussie, jusqu’à un certain point.

L’expulsion pour sortir est empreinte d’un décorum gynécologique : elle est aussi brutale que la descente fut facile. C’est une naissance véritable avec son traumatisme douloureux, le passage de l’obscurité à la lumière. Les personnages sont nus, tels des enfants venant de naître.

Le décor mythique vernien

Jules Verne joue avec les dualités et les contrastes pour enrichir son récit. Le choix des volcans, le Sneffels en Islande et le Stromboli en Italie, illustre parfaitement cela. Le Sneffels, un volcan éteint dans un paysage islandais désolé et froid, sert de porte d’entrée vers un monde souterrain inconnu, tandis que le Stromboli, actif et explosif, symbolise la sortie dramatique et la renaissance dans un monde familier et vivant. Ces éléments géologiques opposés encadrent l’expédition, soulignant le passage de l’ancien au nouveau, du connu à l’inexploré.

Le changement d’Axel est au cœur du récit. Au chapitre 40, il exprime une transformation profonde, une sorte d’initiation. Cette initiation n’est pas seulement une exploration physique dans les profondeurs de la Terre, mais aussi une exploration intérieure et psychologique. Le voyage sert de catalyseur pour son développement personnel, le faisant passer de la peur et de l’incertitude à la confiance et à l’inspiration.

Chapitre 40 : “L’âme du professeur avait passé tout entière en moi. Le génie des découvertes m’inspirait. J’oubliais le passé, je dédaignais l’avenir”, marque le point culminant de cette transformation. Ici, Axel adopte pleinement la passion et l’esprit aventureux de son oncle. Il incarne la soif de connaissance et l’audace qui caractérisent le professeur Lidenbrock. Cette évolution symbolise un passage de relais intellectuel et émotionnel, Axel devenant un explorateur à part entière, embrassant le moment présent et les découvertes extraordinaires qu’il apporte.

Verne, à travers ce périple, illustre comment les expériences extrêmes peuvent transformer la perception de l’individu et élargir son horizon mental. “Voyage au Centre de la Terre” n’est pas seulement un récit d’aventure géologique, mais aussi une exploration de la croissance personnelle et de l’évolution des idées face à l’inconnu.

Les films “Voyage au Centre de la Terre”

Voyage au centre de la Terre (Journey to the Center of the Earth) est un film américain réalisé par Henry Levin, adapté du roman éponyme de Jules Verne et publié en 1959, qui ajoute l’Atlantide, ce qui n’est pas choquant, et garde le reste de l’imaginaire vernien : plus on descend et plus on remonte le temps. Tout est possible, des dinosaures à l’Atlantide. L’Atlantide est une certaine forme de vision, un léger dérapage assez poétique.

Le cinéma américain ajoute un méchant avec le fils de Sackmussen, pour s’opposer au gentil héros : cela crée un côté manichéen, le méchant meurt après avoir mangé le canard. Dans Voyage au Centre de la Terre, la progression est semblable à celle du jeu de l’Oie : il y a un retour à la case départ, et l’Atlantide en case 116.

Chez Platon, l’Atlantide disparaît à cause du péché d’hubris, de la démesure. Elle disparaît en trois jours et trois nuits. L’Atlantide n’est pas la fin mais l’éternelle répétition cyclique. Beaucoup de livres sur l’Atlantide supposent l’endroit exact où elle se trouve : le mythe platonicien est complètement transformé par une succession de disparitions et réapparitions. Le mythe de l’Atlantide régénère les gens. On se prend à rêver d’un meilleur monde, cela laisse songeur.

La multiplication des animaux préhistoriques et des combats est un thème qui se développe beaucoup au XXème siècle. C’est absurde dans le contexte initiatique : Axel doit voir et ne pas toucher. La lance et l’épée sont les armes mythologiques les plus célèbres. Avec la forêt de champignons, les personnages régressent : plus les champignons sont grands, et plus nous sommes petits (gulliverisation). C’est la meilleure adaptation du livre.

Le pouvoir des illustrations dans l’œuvre de Jules Verne

Lidenbrock est celui qui ouvre les yeux de l’initié (lid, broke : qui casse les paupières et donc ouvre les yeux) : c’est un jeu onomastique. L’illustration popularise l’image, en photo ou au cinéma. L’image est un complément d’information : il explicite ce que le mot ne peut pas dire. Le travail d’illustration des œuvres de Jules Verne est toujours un travail d’équipe, avec la collaboration entre illustrateurs (Hetzel) et Jules Verne.

C’est une œuvre parallèle à celle de Jules Verne, car parfois les images vont plus loin que le texte. Les images laissent libre cours à l’imagination. Elles obéissent à certaines règles : elles donnent une idée précise des lieux. Il n’y a aucune illustration sans légendes, qui sont tirées du texte, à la manière des intertitres dans les films muets.

Les légendes sont choisies en fonction de leur “potentiel descriptif”. Ce sont des moments qui peuvent être tragiques (l’image dramatise encore plus), comiques, cela peut être un fait ou un évènement de peu d’importance mais on sent quelque chose derrière, comme si l’illustrateur et l’auteur voulaient nous dire quelque chose. Les légendes et gravures servent à reconstruire l’histoire de manière presque cinématographique.

L’unité picturale reflète une sorte d’unité littéraire. L’image ajoute au texte : le dessin donne une piste à notre imaginaire, ou une idée précise du récit, ou une illustration de ce que l’on ne connaît pas, comme les choses scientifiques, ou ce qui n’est pas dans le texte. Ces illustrations ajoutent à l’histoire, sans contredire l’histoire du texte.

Conclusion

Les illustrations dans “Voyage au Centre de la Terre” de Jules Verne sont bien plus que de simples images ; elles sont une partie intégrante de son récit. Elles enrichissent l’imaginaire vernien, ajoutant une profondeur et une dimension visuelle qui ne peuvent être atteintes par les mots seuls.

Ces illustrations, avec leur mélange unique de réalisme scientifique et de fantastique, ouvrent les portes d’un monde où la science et le merveilleux coexistent, invitant les lecteurs à un voyage aussi visuel que narratif à travers l’univers fascinant de Verne.

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